La crise chypriote provoque un regain d’intérêt pour cette mystérieuse monnaie électronique qui voit sa valeur s’envoler.
Source : Courrier International | The Spectator | Hugo Rifkind | 9 avril 2013
La monnaie Bitcoin a le vent en poupe avec la crise de l’euro – Zach Copley/FlickR/CC
En réalité, la deuxième et la troisième choses ne sont pas si importantes que ce que je vous ai dit. De la drogue, vous pouvez en acheter n’importe où. Et si le Bitcoin est incontestablement en train de cartonner en ce moment, tout le monde sait que sa valeur change fortement avec le temps (en 2010, quelqu’un a dépensé 10 000 Bitcoins pour une pizza, ce qui reviendrait aujourd’hui à 547 903 euros).
Un projet plus politique qu’économique
Donc non, le plus intéressant ce n’est ni la drogue ni la spéculation mais l’idée de base, c’est-à-dire le concept de monnaie cryptographique fonctionnant sur le mode du peer-to-peer [autrement dit de manière décentralisée]. Traduit en langage non technophile, cela signifie que cette monnaie ne ressemble à aucune autre jamais utilisée. Il n’y a pas de banque centrale. Il n’y a pas de responsable. Un Bitcoin se contente d’exister, comme de l’or.
Bon, pas tout à fait comme de l’or, parce que contrairement à l’or, le Bitcoin n’est pas une chose matérielle. Vous ne pouvez pas en tenir un dans le creux de la main. Un Bitcoin, c’est une ligne de code flottant dans le cyberespace. En théorie, cela n’en fait toutefois pas une simple arnaque façon système de Ponzi, du moins ça ne devrait pas. Pourquoi? Voilà qui est plus difficile à expliquer, mais grosso modo, c’est mathématique. Un Bitcoin est un chiffre, et vous ne pouvez pas créer un nouveau chiffre comme ça en claquant des doigts, parce que – suivez bien le raisonnement – ces chiffres existent en nombre limité. Il faut découvrir de nouveaux chiffres mais cela n’est possible qu’à un certain rythme. Cela peut vous rapporter gros, ou vous coûter cher, parce que l’opération nécessite d’énormes capacités de calcul. Et le système étant décentralisé [c’est ce que l’on veut dire par peer-to-peer], le logiciel qui sert à faire ces calculs est simplement partout. Vous ne pouvez pas l’éteindre, pas plus que vous ne pourriez éteindre l’Internet.
C’est du moins l’idée de départ. Tout l’intérêt du Bitcoin est qu’il permet de supprimer la notion de confiance dans une monnaie. Pas besoin d’avoir confiance dans les banques, les gouvernements ou de veiller à ce que les deux ne s’entendent pas pour vous filouter comme ils l’ont fait à Chypre. En fait, la plupart d’entre nous n’étant pas assez futés pour seulement commencer à comprendre les principes mathématiques au cœur du système, j’imagine que la solution consistera à placer notre confiance dans les programmeurs qui, eux, le comprennent. Il se trouve qu’il y a apparemment beaucoup de programmateurs qui s’occupent de ça et qu’ils sont eux-mêmes surveillés par d’autres programmateurs qui n’ont rien d’autre de mieux à faire vu qu’ils n’ont pas de petite copine. Je ne suis pas sûr que ce soit une mauvaise chose. Appelez-ça la moralité de la foule. Je pense que c’est la voie du futur.
La monnaie Bitcoin est un aussi un sujet passionnant pour sa part de mystère. Le Bitcoin aurait été inventé par un certain Satoshi Nakamoto (probablement un faux nom) qui se serait ensuite évanoui dans la nature. En réalité, il s’agit plus probablement d’une œuvre collective dont les auteurs ont certainement bien tiré profit, mais le cœur du projet a toujours été plus politique qu’économique.
Bientôt, que ce soit avec Bitcoin ou n’importe quelle autre innovation, il sera possible de reprendre le système bancaire aux banquiers et l’argent aux gouvernements. Certains suggèrent que le récent regain d’intérêt pour le Bitcoin est étroitement lié à la saisie des comptes bancaires chypriotes : les habitants d’autres régions européennes au système bancaire chancelant (notamment l’Espagne) cherchent des façons simples et économiques de mettre leur argent à l’abri. Que ce soit vrai ou non (cette envolée est peut-être seulement due au buzz, à des bobards ou à des esprits crédules comme moi), le Bitcoin est sans aucun doute un moyen simple et bon marché de transférer de l’argent partout dans le monde.
Certes, les structures bancaires et fiscales traditionnelles peuvent toujours vous retrouver quand vous achetez ou en vendez des Bitcoins, mais que se passerait-il si vous n’aviez plus besoin de le faire ? Il existe toute une philosophie politique émergente, proche du crypto-anarchisme d’un Julian Assange. Pour ses défenseurs, il s’agit de donner des pouvoirs de gouvernement à des particuliers, de leur permettre d’avoir des secrets impossibles à percer par les autorités. L’idée a de quoi séduire n’importe quel libertarien, mais elle aura aussi un coût. Que se passe-t-il quand la démocratie n’est plus une affaire de groupe mais d’individus et que chacun a littéralement le pouvoir de payer ou d’être payé sans que personne ne le sache ? Qu’advient-il de l’Etat qui ne survit que grâce à l’impôt ?
Bien malin qui le dira, mais je pense que ça ferait des dégâts. Reste que je me suis quand même mis 113 euros dans la poche. Allez, héroïne pour tout le monde.