Ces entreprises plus fortes que les États

Face aux multinationales, les nations, lestées de dettes et minées par le chômage, semblent de plus en plus désarmées. Enquête sur une lame de fond qui met à mal leur crédibilité, et celle des politiques.

Des groupes à la puissance financière démesurée défient les gouvernenents. Dans l’affaire Florange, Lakshmi Mittal, le patron du n° 1 mondial de l’acier, a fait peu de cas des sommations de François Hollande.
REUTERS/Thierry Roge

Il faudrait peut-être penser à tourner la saison 2 du Léviathan, de Thomas Hobbes. Dans son oeuvre majeure, publiée au milieu du xviie siècle, le grand philosophe anglais représente l’Etat sous les traits du monstre marin, toujours prompt à déployer ses omnipotents tentacules pour asservir le commerce, la finance et l’industrie. Autres temps, autres rapports de force. Aujourd’hui, l’ignoble « serpent tortueux » du livre d’Isaïe s’est métamorphosé en une indolente couleuvre et le Léviathan-Etat en… Léviathan-SA. Car ce sont désormais des sociétés anonymes, mais présentes aux quatre coins du monde, des multinationales aux puissances financières démesurées qui défient les Etats, même les plus grands.

Ces entreprises plus fortes que les États

Quelques chiffres éclairent sur cette inversion des « valeurs » : début 2013, Apple pesait en Bourse l’équivalent du budget de la France ou la somme des PIB roumain, hongrois, slovaque, croate et lituanien. Le seul chiffre d’affaires de la compagnie pétrolière anglo-néerlandaise Royal Dutch représente l’activité de tout le Royaume-Uni pendant deux mois et demi. Sur le front de l’emploi – le nerf de la guerre, en ces temps de chômage -, les multinationales alignent d’impressionnantes armées. Fort de ses 2,1 millions de salariés, le plus gros employeur privé du monde, le distributeur américain Wal-Mart, fait jeu égal avec l’armée populaire chinoise (2,3 millions). Nul besoin en fait de former de telles troupes pour faire plier le souverain. Les 20 000 métallos français employés par ArcelorMittalautorisent le patron à quelques bravades et promesses non tenues à l’endroit des gouvernements Fillon et Ayrault.

Une toile opaque de filiales et d’échanges de capitaux

Mais l’influence de ces groupes ne se mesure pas seulement avec une calculette. Ils tissent une toile extrêmement serrée et opaque de filiales et de relations capitalistiques. En 2011, trois chercheurs de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich publient une étude « explosive » sur les participations de 43 000 sociétés transnationales : ils révèlent ainsi que 737 firmes contrôlent à elles seules 80 % du total. Or ces entreprises tentaculaires dépensent des sommes folles en lobbying pour tenter d’imposer leurs normes et d’infléchir la réglementation. Quitte à prendre elles-mêmes le stylo pour écrire leurs propres lois. Et quand un Etat un brin récalcitrant bombe le torse pour imposer de nouvelles règles, elles n’hésitent pas à porter leurs différends devant la justice.

Leurs chiffres d’affaires rivalisent avec des PIBCes entreprises plus fortes que les États

Une étude de l’ONG belge Corporate Europe Observatory dénombre quelque 450 cas d’arbitrage entre un Etat et une entreprise dans le monde en 2011, contre seulement 38 en 1996. Des « attaques » permises par les clauses dites « investisseurs-Etat » inscrites dans la plupart des accords de libre-échange entre pays, et qui autorisent une entreprise à poursuivre en justice un Etat dès lors qu’elle juge que son investissement est floué par une modification de la loi. Ainsi, le géant suédois de l’énergie Vattenfall, un des principaux gestionnaires du parc nucléaire outre-Rhin, exige aujourd’hui 3,5 milliards d’euros à l’Etat allemand après sa décision de sortir, à terme, de l’atome…

Quel affront ! Mais, au fond, à qui la faute ? Aux patrons des multinationales, tentés de mettre au diapason leur pouvoir avec leur puissance ? Aux Etats, surtout. Ils ont organisé leur propre abdication. « Présenté comme hyperpuissant, Google ne pèse rien en Chine parce que Pékin a dit non ! » s’emballe Jean-Louis Beffa, ancien président de Saint-Gobain. Endettés et affaiblis, les Etats tentent malgré tout aujourd’hui de reprendre le contrôle. Par quels moyens ? Les coups de gueule d’un Montebourg relèvent davantage de la rodomontade que d’un véritable renversement de pouvoir. Il faut dire que, pour certains grands groupes, notamment bancaires, le joker du « Too big to fail » est extrêmement efficace.

« L’hypertrophie bancaire a piégé les Etats. D’une part, les banques sont trop grosses pour qu’on les laisse tomber en cas de problème et, d’autre part, en encadrant trop strictement leur activité, on risque de freiner le financement de l’économie », déplore Sylvie Matelly, directrice de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Reprendre le contrôle de la politique industrielle se révèle aussi plus compliqué que prévu.

Des patrons infiniment mieux payés que de dirigeants politiquesTim Cook (Apple): 378 millions de dollarsLawrence Ellison (Oracle): 77,5 millions de dollars

Maurice Lévy (Publicis): 25,4 millions de dollars

Lee Hsien Loong (Singapour): 1,7 million de dollars

Barack Obama (États-Unis): 400.000 dollars

Angela Merkel (Allemagne): 280.000 dollars

François Hollande (France): 200.000 dollars

Rémunération 2011 (Sources: Fortune, Proxinvest)

« Chaque pays doit avancer avec ses champions nationaux »

Que peut faire la puissance publique quand les ingrédients qui entrent dans la fabrication d’un pot de yaourt parcourent des milliers de kilomètres avant d’arriver chez le consommateur ? « Dans l’automobile, la chaîne de valeur est tellement éclatée et fragmentée que les Etats ne peuvent plus mettre en place une politique de filière. Cette notion est vide de sens », analyse froidement Dominique Guellec, le responsable du service des politiques d’innovation à l’OCDE. La solution passe, évidemment, par plus de coopération entre Etats.

Le vote récent des parlementaires européens en faveur d’une résolution sur la reprise des sites rentables en Europe va dans le bon sens, mais la mesure tient surtout de la symbolique. « Organiser une association d’Etats contre les multi-nationales ne servirait pas à grand-chose. Il faut accepter la compétition entre Etats, mais chaque pays doit avancer avec ses champions nationaux en guise de fantassins », suggère l’ancien patron de Saint-Gobain. Après tout, les nations qui s’en sortent le mieux dans la mondialisation ont agi de la sorte avec leur fleuron industriel : la Chine, la Corée du Sud ou l’Allemagne. Paradoxalement, le meilleur moyen pour les Etats de dompter les multinationales serait de s’en rapprocher.

Source : L’Expansion | Franck Dedieu et Béatrice Mathieu – publié le 30/04/2013 à 09:16

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Entretien avec Olivier Delamarche : vers la faillite des Etats

Les Etats européens se désintègrent

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                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                     Pierre Hillard
Docteur en science politique et essayiste
 

L’arrivée au pouvoir des partis nationalistes basques (PNV et BH Bildu) aux élections du 21 octobre est révélatrice de la tournure des événements en Europe.

La victoire de la NVA de Bart de Wever en Flandre, le 14 octobre, prônant l’évaporation de la Belgique et fragilisant le gouvernement Di Rupo ; la signature d’un accord, le 15 octobre, entre le Premier ministre anglais David Cameron et le dirigeant écossais du Scottish National Party (SNP et membre du parti les Verts/ALE) Alex Salmond prévoyant un référendum à l’automne 2014 sur l’indépendance de l’Ecosse (avec d’inévitables répercussions sur le Pays de Galles et l’Irlande du Nord) et les préparatifs de la Catalogne aux élections du 25 novembre, où tout annonce une majorité absolue des partis indépendantistes, démontrent l’ampleur du phénomène.

Les États européens se délitent, pris en tenaille entre l’Union européenne à structures fédérales s’arrogeant de plus en plus de pouvoirs régaliens et des régions disposant de pouvoirs multiples (administration, éducation, impôts, justice…).

La crise financière ne fait qu’accélérer le processus en avivant les oppositions entre régions riches et régions pauvres. Cette dislocation en cours n’est que la résultante d’un long travail des instances oligarchiques européennes où les élites germaniques se sont activées pour diffuser dans le corps de l’Union européenne des documents inspirés de la spiritualité politique propre à l’Allemagne, c’est-à-dire l’ethno-régionalisme. Cette politique trouve sa traduction dans les efforts du parti européen mondialiste les Verts/ALE promouvant l’éclatement des États comme le révèle cette carte élaborée par ses dirigeants en 2004.

De prime abord utopique à son époque, elle apparaît de plus en plus plausible au vu des événements récents. Au cœur de l’Europe, le poids lourd germanique s’affirme.

L’indépendance tôt ou tard de la Catalogne, de l’Écosse ou de la Flandre ne doit pas nous cacher l’évolution similaire dans cette Europe des régions prônée par l’Assemblée des régions d’Europe (ARE).

En fait, on observe le même processus avec des régions dénuées de toutes revendications identitaires comme Rhône-Alpes, les Pays de la Loire ou encore la région Centre. En effet, la gestion des Fonds structurels (et l’argent est toujours le nerf de la guerre), octroyée directement au Conseil régional alsacien depuis 2003 en liaison directe avec Bruxelles, va être étendue progressivement à l’ensemble des régions françaises à partir de 2013, comme l’a annoncé le président Hollande dans son discours du 5 octobre 2012.

Le président a même appelé à un pouvoir d’adaptation locale de la loi.

Dans la pratique, c’est une véritable révolution : jusqu’ici, la loi est la même pour tous les citoyens et sur tout le territoire français à l’exception de quelques dérogations comme la Nouvelle-Calédonie. Nous assistons à la montée en puissance d’une véritable féodalité. Elle touchera les citoyens dans leur vie de tous les jours (salaires, impôts, remboursements de soins médicaux, etc.). Cette situation s’aggravera puisque le programme présidentiel de François Hollande prévoyait la ratification de la Charte des langues régionales ou minoritaires (engagement n°56) qui inclut la reconnaissance et l’utilisation des langues régionales dans tous les domaines (justice, administration, éducation, etc.), sans oublier les inévitables coûts financiers qui accompagneront la ratification de cette charte.

Ajoutons que les populations extra-européennes, au nom de la non-discrimination (article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme), voudront bénéficier de la reconnaissance de leurs langues et de leurs particularismes. Avec de telles mesures, la France est appelée à se disloquer…

Auteur : Pierre Hillard, le 23 octobre 2012                                                                                                         Sources : Boulevard Voltaire, E&R

Vous avez une tumeur du ‘traité de stabilité budgétaire européen », et il se généralise dans tous les Etats… c’est incurable !

Auteur : Sébastien Dieu

Source : Pierre Jovanovic